Une enquête, couvrant la période d’août 2013 à janvier 2014, a été menée par les agents de la Direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Ceux-ci ont vérifié si les chirurgiens-dentistes (du moins 553 praticiens) respectaient la réglementation concernant non seulement l’obligation d’affichage des honoraires, mais aussi la délivrance d’un devis conventionnel.

Au-delà de la généralisation des résultats qui laisse perplexe («le taux d’infraction», pour reprendre les termes de l’enquête, représenterait 28 % en matière d’affichage et 83 % pour le devis), il n’est pas inutile de rappeler les règles figurant dans le Code de la santé publique.
LE CONTEXTE :La lecture des sites officiels de l’administration fran- çaise est souvent riche d’enseignements. Ainsi, le site www. economie.gouv.fr laisse-t-il apparaître, sous le titre «Contrôle des devis dentaires», une page, datée du 11 août 2015, sur laquelle sont affichés les résultats d’une enquête. Selon cette source, l’enquête, couvrant la période d’août 2013 à janvier 2014, a été menée par les agents de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la ré- pression des fraudes); elle avait pour objet « le respect par les dentistes de leurs obligations en matière d’information des consommateurs».
S’agissant du terme « consommateurs », il est significatif d’une manière de penser la relation qui se noue entre un professionnel de santé et un patient. Il est vrai qu’« […] est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale» (1). Avec une telle acception, le patient peut être regardé comme un consommateur parce qu’il est incontestablement une personne physique et, lorsqu’il re- çoit des soins dentaires, il n’agit pas à des fins professionnelles, mais personnelles.
Il n’en reste pas moins que la relation médicale est arrimée à une double philosophie : celle de santé publique, d’une part, et celle d’une pratique professionnelle qui n’est pas conçue comme un exercice par nature commercial, d’autre part. Pour cette raison, la qualification de consommateur, sur le plan juridique, est à tout le moins réductrice.
S’agissant maintenant du vocable « information », il mé- rite également d’être précisé : ce n’est pas l’information mé- dicale (sur « l’état de santé », pour reprendre l’expression de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique) dont il est question, mais l’information dite « économique » (ou encore financière), codifiée à l’article L. 1111-3 du Code de la santé publique (et non, du reste, du Code de la consommation !). Si la DGCCRF n’est pas compé- tente pour vérifier la méconnaissance de la première, constater la violation de la seconde (2) relève en revanche de ses prérogatives. Cette enquête avait pour « cible [sic] 553 chirurgiensdentistes », est-il mentionné, et s’est traduite par « 360 avertissements et un procès-verbal pour opposition à fonction» (3). Sont ainsi présentés sous la forme de statistiques générales de « nombreux manquements en matière d’information » : par exemple, « concernant le respect de l’affichage obligatoire des honoraires et des prix des prestations les plus couramment pratiquées dans les cabinets, le taux infractionnel s’élève à 28 %».
L’information du public par l’autorité administrative est-elle fiable si elle omet de préciser les critères de sélection de l’échantillon de population sondée ? La généralisation du propos apparaît excessive au regard du faible nombre de chirurgiens dentistes contrôlés (553), sans que soient précisés, de surcroît, les critères qui ont déterminé le choix des praticiens contrô- lés. Dans ces conditions (ainsi que dans le contexte actuel bien connu), une interrogation point : l’information… du public (des consommateurs) par l’autorité administrative est-elle fiable ? Laissons à chacun le soin de se forger sa propre opinion et venons-en à l’analyse juridique.
ANALYSE : En premier lieu, s’agissant de l’affichage obligatoire, l’article L. 1111-3 du Code de la santé publique dispose que « le professionnel de santé doit […] afficher de façon visible et lisible dans sa salle d’attente ou à défaut dans son lieu d’exercice les informations relatives à ses honoraires ».
Quant à l’article R. 1111-21 du même code (issu du décret n° 2009- 152 du 10 février 2009), il ajoute une précision : «Les professionnels de santé […] qui reçoivent des patients affichent, de manière visible et lisible, dans leur salle d’attente ou, à défaut, dans leur lieu d’exercice, les tarifs des honoraires ou fourchettes des tarifs des honoraires qu’ils pratiquent ainsi que le tarif de remboursement par l’assurance maladie en vigueur correspondant aux prestations suivantes dès lors qu’elles sont effectivement proposées :
[…] 2° Pour les chirurgiens-dentistes : consultation et au moins cinq des prestations de soins conservateurs, chirurgicaux et de prévention les plus pratiqués et au moins cinq des traitements prothétiques et d’orthopédie dento-faciale les plus pratiqués.»
Par ailleurs, sans entrer dans le détail, le praticien conventionné doit également indiquer : «Votre chirurgien-dentiste applique les tarifs de remboursement de l’assurance maladie. Ces tarifs ne peuvent être dé- passés, sauf en cas d’exigence exceptionnelle de votre part s’agissant de l’horaire ou du lieu de la consultation.
Pour les traitements prothé- tiques et d’orthopédie dento-faciale, votre chirurgien-dentiste pratique des honoraires libres qui peuvent être supérieurs aux tarifs de remboursement par l’assurance maladie.
Si vous bénéficiez de la couverture maladie universelle complé- mentaire, ces dépassements sont plafonnés.
Si votre chirurgien-dentiste vous propose de réaliser certains actes qui ne sont pas remboursés par l’assurance maladie, il doit obligatoirement vous en informer.
Dans les cas cités ci-dessus où votre chirurgien-dentiste fixe librement ses honoraires ou ses dépassements d’honoraires, leur montant doit être déterminé avec tact et mesure (4).» Tous ces textes consacrés à l’obligation d’affichage sont complétés par une disposition qui, elle, traite de la sanction en deux temps :
- primo, « en cas de première constatation d’un manquement, les agents habilités notifient au professionnel un rappel de réglementation mentionnant la date du contrôle, les faits constatés ainsi que le montant maximum de l’amende administrative encourue. Le professionnel en cause dispose d’un délai de 15 jours pour se mettre en conformité avec la réglementation ainsi rappelée»
- secundo, «passé ce dé- lai [précité], en cas de nouvelle constatation d’un manquement chez le même professionnel, le représentant de l’État dans le département notifie les manquements reprochés et le montant de l’amende administrative envisagée au professionnel, afin qu’il puisse présenter ses observations écrites ou orales, le cas échéant assisté d’une personne de son choix, dans le délai de 15 jours francs à compter de la notification.
À l’issue de ce délai, le repré- sentant de l’État peut prononcer une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3000 euros. Il la notifie à l’intéressé en lui indiquant le délai dans lequel il doit s’en acquitter et les voies de recours qui lui sont ouvertes (5)». Selon les données disponibles sur le site pré- cité, aucune amende ne semble avoir été infligée.
Ensuite, les agents de contrôle ont vérifié «la remise d’un devis conforme au modèle type fixé en application de la loi ainsi que la remise effective au patient des documents garantissant la traçabilité et la sécurité des matériaux utilisés ». Ils se fondent toujours sur l’article L. 1111-3 du Code de la santé publique. Selon ce texte, les professionnels de santé d’exercice libéral doivent, avant l’exécution d’un acte, informer le patient du coût des soins et des conditions de leur remboursement par les régimes obligatoires d’assurance maladie. Surtout, « lorsque l’acte inclut la fourniture d’un dispositif médical sur mesure, l’information écrite délivrée gratuitement au patient comprend, de manière dissociée, le prix de vente de l’appareil proposé et le montant des prestations de soins assurées par le praticien, ainsi que le tarif de responsabilité correspondant ». Nul n’ignore que cette exigence a été vertement critiquée. Ce n’est pas tout : lé- galement, le praticien remet au patient les documents garantissant la traçabilité et la sécurité des matériaux utilisés (6).
Cet article mentionne, enfin, que « l’information délivrée au patient est conforme à un devis type défini par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire et les organisations représentatives des professionnels de santé concernés» (7). Quelles sont les conclusions de l’enquête ? Citons-les : «Les enquêteurs ont constaté que tous les chirurgiens-dentistes contrôlés remettent un devis à leurs clients… mais pas le bon.
En effet, seule une très petite minorité utilise le devis conventionnel obligatoire, beaucoup plus informatif. Le taux d’infraction sur le devis atteint 83 %. » Il n’est pas inintéressant de signaler ce que les chirurgiensdentistes, à l’époque, ont argué (du moins à en croire les agents de contrôle) :
• un contexte confus et troublé par les négociations conventionnelles
• un manque d’information sur la mise en place du nouveau devis
• un retard dans la mise à jour des logiciels utilisés pour la gestion des nouveaux devis.
Le retard dans la mise à jour des logiciels utilisés pour la gestion des nouveaux devis a été invoqué par les praticiens en infraction.Plus encore, la DGCCRF se montre préoccupée par le fait que « les enquêteurs ont constaté la réticence de principe d’un grand nombre de dentistes à communiquer les prix des prothèses sur les devis remis aux consommateurs ». Et d’ajouter que «cette disposition constitue pourtant un élément essentiel de l’information du consommateur sur les prix»!
Pour conclure, voici la leçon de l’enquête : « Les prothèses et les soins dentaires représentent un poste de dépenses très important pour les consommateurs qui y ont recours. Il est fondamental dans ce contexte que ces derniers puissent avoir tous les éléments économiques et techniques leur permettant de prendre une décision. Il convient, par conséquent, de maintenir la surveillance dans le secteur.»
Par David Jacotot
Sources :(1) Voir l’article 3 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, disposition insérée dans un article préliminaire du Code de la consommation.
(2) L’article L. 1111-3 renvoie à l’article L. 4163-1 du Code de la santé publique, lequel cite notamment «les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes».
(3) Le délit d’opposition à fonction est constitué si la personne contrôlée refuse aux enquêteurs l’accès aux lieux de contrôle ou les met dans l’impossibilité d’accomplir leur mission.
(4) Article R. 1111-23 du même code.
(5) Article R. 1111-25 du même code, modifié par décret n° 2012-1247 du 7 novembre 2012.
(6) L’information écrite mentionne le ou les lieux de fabrication du dispositif médical.
(7) Il est écrit que, «à défaut d’accord avant le 1er janvier 2012, un devis type est défini par décret».
Article par l'ONCD.