Malgré tous les efforts entrepris, la région continue de pâtir du manque de chirurgiens-dentistes. Obtenir un rendez-vous n’est pas une sinécure.

Dites donc, pas évident, quand on a mal aux dents, de s’entendre répondre qu’il faut attendre ! Du style : « Je n’ai rien à vous proposer avant deux mois. Bientôt, il faudrait qu’on travaille la nuit… » Le problème n’est pas né de la dernière carie. Voilà des années que les dentistes picards sont surbookés. Si votre praticien habituel réussit toujours à vous caser entre deux rendez-vous pour une urgence, de nombreux dentistes, débordés par leur planning, refusent de prendre de nouveaux clients…
La faute de cette pénurie au manque d’attrait de la région sur les jeunes praticiens. « Comme il n’y a pas de fac chez eux, les jeunes Picards ne pensent pas à faire chirurgie-dentaire. Et quand ils y pensent, ils vont à Lille ou à Reims, et ne veulent pas revenir », résume cette jeune dentiste dans l’Oise, qui a pourtant fait le chemin inverse. « On ne peut quand même pas reprocher aux jeunes de chercher des régions qui bougent bien… »
Selon l’ordre régional des chirurgiens-dentistes, la Picardie comptait à la fin de l’année dernière 698 praticiens en libéral. « Soit une moyenne de 36,5 dentistes pour 100 000 habitants, contre 58 en moyenne nationale », constate Jean-François Seret, président de cet ordre, exerçant à Hirson (Aisne). Autre problème épineux, « 42 % des dentistes picards ont plus de 55 ans, contre 36 % pour l’ensemble de la France… » Et c’est dans la Somme, où ils sont déjà les moins nombreux, que les praticiens sont les plus âgés. « En 10 ans, la moyenne d’âge a augmenté de 5 ans », confirme Gilles Melon, président de l’ordre départemental, dentiste à Ham. « Plus de la moitié des cabinets ne trouvent jamais un repreneur après le départ en retraite du praticien qui y exerçait. En 25 ans, on est passé de 5 dentistes à un seul dans une ville comme Roye… » Conséquence, comme pour les médecins généralistes, ce sont maintenant des dentistes étrangers qui remplacent les Picards ! Ils sont déjà quatre, deux Roumains et deux Grecs, dans la Somme. Rien d’illégal, ces dentistes bénéficiant de la libre circulation dans l’Union européenne et ayant pu obtenir une équivalence de diplôme en France.
Le président de l’ordre régional a pris son bâton de pélerin « Peut-être qu’il aurait fallu desserrer le numerus clausus plus tôt (NDLR, cette règle qui fixe la limite du nombre d’étudiants par spécialité), maintenant c’est presque trop tard », estime Gilles Melon. Depuis une dizaine d’années, Jean-François Seret a toutefois entrepris de relever le défi. Rapporteur du groupe « démographie professionnelle » au sein de l’ordre national de la profession, président de la commission paritaire régionale, le dentiste d’Hirson anime régulièrement des conférences à la fac de Reims. Son but ? Changer le regard des étudiants sur la Picardie… « Je leur explique que l’important c’est la qualité de vie quand ils auront 40 ans, pas maintenant. À 25 ans, on a envie de grandes villes ; à 40, de campagne… En outre, la Picardie c’est l’assurance de carrières plus faciles que dans les régions à forte densité de praticiens. »
Le président de l’ordre régional milite encore pour l’installation à la fac d’Amiens d’un pôle dentaire qui dépendrait de l’université de Reims. « Si chaque année, un quart des étudiants partis de la région revenaient à Amiens pour y terminer leur cursus on pourrait rapidement régler les problèmes. » Par ailleurs, rappelle Jean-François Seret, depuis février 2013 un « contrat incitatif chirurgien dentiste » (scellé entre la profession et l’Assurance maladie), propose une aide forfaitaire à l’installation de 15 000 euros pour les jeunes praticiens acceptant de s’installer dans une zone « très sous dotée » pour au moins 5 ans. Autre incitation, tous les praticiens exerçant dans ces secteurs ont droit à une prise en charge de leurs cotisations sociales au titre des allocations familiales pendant 3 ans. La région compte une quarantaine de ces « zones sous dotées », à Guise, Marle, Péronne, Roye, Saint-Valéry, Noailles, Bresles, etc. Décidément, rien à voir entre cette Picardie rurale et la Côte d’Azur ! Au soleil, la densité de dentistes est presque deux fois et demie plus élevée.
Source : Courrier Picard